Commençons tout d'abord par la structure architecturale de nos Loges. La coutume veut que celles-ci aient pour origine le Temple de Salomon. Il n'est pas nécessaire de passer beaucoup de temps pour nous rendre compte que nous avons hérité d'un certain nombre de ses éléments architecturaux, mais que la structure remonte bien au-delà. L'élément le plus souvent commenté est bien évidemment les colonnes d'entrée, Jakin et Boaz. En dehors de ces éléments très importants, il est difficile de trouver des éléments originaux qui pourraient se rapporter à ce que nous connaissons. Remarquons tout d'abord que le temple de Salomon reprend dans ses grandes lignes la structure des temples égyptiens, phéniciens et mésopotamiens. Les deux colonnes qui sont des éléments architecturaux sans valeur architectonique se retrouvent par exemple dans les obélisques commémoratifs à l'entrée du temple ou encore les colonnes qui se dressaient par paire à l'entrée de beaucoup des sanctuaires orientaux : Khorsabad, Tyr, Hiérapolis. La forme du temple quand elle répond aux normes anciennes. Les points communs avec le temple égyptien sont significatifs : Plan en carré long, réduction des volumes intérieurs lorsqu'on se rapproche du Naos ou du Saint des Saints, obscurité du lieu, lieux extérieurs de purification physique, stricte séparation du monde profane extérieur, etc. La voûte étoilée quant à elle nous vient directement de l'Egypte. Dans les deux exemples que nous venons d'évoquer, le sanctuaire égyptien et celui de Jérusalem, le Temple est considéré comme la demeure de Dieu sur terre, le lieu où la hiérophanie divine se manifeste. La conséquence est que ce lieu est interdit aux profanes. Seuls les prêtres peuvent pénétrer le temple et seul Pharaon ou son représentant peut accéder au Naos, au Saint des Saints. Il est donc évident que les temples n'ont pas pu servir à ce pourquoi nous les utilisons aujourd'hui, c'est à dire accomplir les cérémonies rituelles et s'instruire. D'où vient donc que nous oeuvrions comme nous le faisons ? Deux éléments principaux nous en donnent la clé en s'associant aux origines égyptiennes et hébraïques que nous venons de citer. Il s'agit d'une part des lieux de réunion pythagoriciens et d'autre part des mithreums, lieux où se déroulaient les tions et enseignements liés aux mystères de Mithra. Dans le premier cas, la référence que nous avons est celle de la basilique pythagoricienne souterraine découverte à Rome à une centaine de mètres de la Porte Majeure. Datant du premier siècle, elle est orientée Est-Ouest, comporte trois nefs et était précédée d'un parvis carré ou atrium. Stucs et mosaïques décoraient l'ensemble. Des lampes à huile éclairaient le lieu. A l'Occident de la salle, une mosaïque révèle un carré parfait en cubes noirs. Les petits cubes noirs englobés dans la mosaïque du pavement font le tour de la salle et s'arrêtent de part et d'autre de l'emplacement de la stalle du maître qui se trouve à l'Orient. Notons une curieuse coutume qui pourrait être mise en relation avec notre entrée dans le temple et la distinction des deux côtés du temple. Une phrase de Pythagore dit : " Chausse d'abord ton pied droit, mais lave d'abord ton pied gauche. " Dans la basilique pythagoricienne dont nous parlons, l'atrium comportait une vasque où les membres de l'Ordre se lavaient les pieds avant d'entrer dans le temple. La coutume voulait que le pied gauche (côté maléfique et matériel) soit lavé en premier, suivi du pied droit. Enfin, le pied gauche était chaussé en dernier. Jamblique explique que le membre pouvait entrer dans le Temple, mais uniquement par le côté droit et jamais par le gauche. Le premier était considéré par les pythagoriciens comme solaire, positif, impair et divin tandis que le gauche était lunaire, négatif, pair et emblème de dissolution. Notons pour terminer que le travail en commun au sein du temple devait se dérouler entre midi et le coucher du soleil. Peu d'indications sont données sur les positions des membres lors du travail ou du culte. Le Mithraïsme va y pourvoir. Un bon nombre de mithreums ont été retrouvés et ils nous donnent des indications assez précises sur la disposition des membres de l'assemblée. Nous n'aborderons pas tous les aspects ici et n'en mentionnons que deux. Tout d'abord les temples sont euxaussi de forme rectangulaire. Ils comportent toujours deux banquettes de part et d'autre de l'axe du temple, sur lesquels se placent les frères. Nos deux colonnes trouvent donc ici leur origine. Enfin la voûte est en général circulaire, pour représenter la voûte céleste. D'autres détails architecturaux liés aux initiations qui s'y déroulent sont évidemment présents, tel qu'un puits contenant l'eau nécessaire aux purifications. En ce qui concerne les rites et les initiations eux-mêmes, il convient de nous pen cher sur les textes du passé, comme nous venons de le faire pour quelques éléments architecturaux. Encore une fois, ces éléments ne visent pas l'exhaustivité mais illustrent d'une certaine manière la famille spirituelle d'où nous sommes issus. Commençons par reprendre et commenter certains passages de l'initiation décrite par Proclus dans " l'âne d'or " (II° siècle). Livre XI " 22. [...] Pendant une nuit obscure, elle [la Déesse] me fit connaître, sans obscurité, ce qu'elle voulait et me prévint, sans ambiguïté, qu'était arrivé le jour toujours souhaitable où elle accomplirait mon voeu le plus cher; elle m'indiqua combien je devrais dépenser pour me procurer ce qu'exigerait la cérémonie. [...] " Comme nous le voyons dans ce passage, la cérémonie d'initiation n'est pas gratuite et il convient de se procurer un certain nombre d'éléments symboliques à utiliser durant le rite. Bien évidemment, Proclus reste muet sur ceux-ci, mais nous en aurons quelque idée un peu plus loin. " L'âme réconfortée par ces indications et d'autres instructions pleines de bonté de la toute-puissante déesse, je me tirai du sommeil avant qu'il ne fît plein jour et, sans désemparer, je me rendis au logement du prêtre. [...] Mais lui, dès qu'il m'aperçut, me devança : " Oh, dit-il, Lucius, oh, bienheureux, oh, fortuné ! d'être ainsi jugé digne de ces grâces par l'auguste divinité ! " Puis " Pourquoi, ajouta-t-il, rester maintenant inactif et te retarder toi-même ? Voici venu le jour que tu appelais sans cesse de tes vœ ux, le jour où, de par les ordres divins de la déesse aux mille noms, tu vas être, de ces mains mêmes que tu vois, introduit dans les pieux mystères de sa religion. " Alors, mettant sa main droite sur moi, le vieillard, avec bonté, me conduit aussitôt devant la porte de l'imposant sanctuaire; et, après avoir célébré selon le rite solennel la cérémonie de l'ouverture et accompli le sacrifice du matin, il tire d'un lieu secret, au fond du saint des saints, certains livres écrits en caractères mystérieux, les uns narrant des figures d'animaux de toutes sortes qui symbolisaient en abrégé des formules rituelles, les autres renfermant un texte noté avec des signes compliqués, arrondis en forme de roues avec des traits en spirale comme des vrilles de vigne qui en défendaient la lecture contre la curiosité des profanes. Après les avoir consultés, il m'indique ce que je devrai obligatoirement préparer pour servir à l'initiation. [...] " Nous devons ici faire plusieurs remarques. L'initiable doit demander l'initiation de lui-même après avoir reçu une impulsion, une intuition qui manifeste son désir profond et sa vocation. Le prêtre fait appel aux textes rituels pour savoir ce que Lucius doit se procurer pour subir l'épreuve. L'initiation se déroule selon plusieurs phases : Tout d'abord Lucius est baigné : " 23. [...] Lorsque, selon les indications du prêtre, le moment fut venu, il me conduisit, accompagné d'une troupe de fidèles, au bain le plus proche ; là, une fois que je me fus lavé, comme d'ordinaire, il commença par demander pour moi la bienveillance des dieux et me purifia en m'aspergeant tout le corps ; ensuite, il me ramena au temple. " Puis Lucius reçoit l'instruction et les prescriptions qu'il doit observer durant le temps qui le sépare de la cérémonie. " Les deux tiers de la journée s'étaient déjà écoulés ; il m'arrêta aux pieds mêmes de la déesse et me donna certaines instructions secrètes, trop merveilleuses pour que la voix humaine puisse les exprimer. Ensuite, devant tout le monde, il m'ordonna de m'abstenir pendant les dix jours qui venaient, de tout plaisir de table, de ne manger de la chair d'aucun animal et de ne pas boire du tout de vin. " Lorsque le jour prescrit arrive et au coucher du soleil, la cérémonie peut commencer : " Lorsque j'eus observé ces prescriptions et gardé la sainte abstinence, le jour fixé pour le divin rendez-vous était venu et déjà le soleil, au bas de sa course, entrait dans le soir. A ce moment arrivent de partout des groupes de gens qui, selon la coutume antique des mystères, me font hommage de présents divers. Alors, éloignant tous les profanes, le prêtre me fait revêtir une robe de lin entièrement neuve, me prend par la main et me conduit jusque dans la partie la plus reculée du sanctuaire. " Mais de la même manière qu'aujourd'hui (et sans doute même davantage) le serment de silence retombe sur ce qui est accompli : " Peut-être te demandes-tu avec curiosité, lecteur attentif, ce qui a été dit alors, ce qui a été fait ; je te le dirais, s'il m'était permis de le dire, tu le saurais, s'il t'était permis de l'entendre. Mais ce serait un crime égal que commettraient et tes oreilles et ma langue, celle-ci pour son indiscrétion sacrilège, celles-là pour leur curiosité téméraire. Mais peut-être l'envie qui cause ton impatience est-elle pieuse, et je ne te torturerai pas en te tenant longtemps en suspens. Aussi, écoute, et crois, car ceci est la vérité. " Voici donc le passage si souvent cité, qui brosse en quelques mots le contenu de l'initiation. " Je suis allé jusqu'aux frontières de la mort, j'ai foulé aux pieds le seuil de Proserpine, j'ai été entraîné à travers tous les éléments, en pleine nuit j'ai vu le soleil étinceler de lumière blanche, j'ai approché, face à face, les dieux d'en bas et les dieux d'en haut, je les ai adorés de tout près. Voilà : je t'ai tout raconté et, bien que tu l'aies entendu, il est impossible que tu ne sois pas, tout de suite, dans l'ignorance. Aussi vais-je rapporter seulement ce que l'on peut exposer sans sacrilège à des profanes. " Avant de poursuivre, voyons si rien dans ce que nous connaissons ne pourrait nous aider à comprendre ce dont il s'agit : " Je suis allé jusqu'aux frontières de la mort ". Par quoi commence l'initiation maçonnique, sinon par le cabinet de réflexion, image symbolique très éloquente de la caverne de l'au-delà telle que se la représentaient les anciens grecs ? Sans reprendre la description de cette descente telle qu'on la retrouve dans l'orphisme et le platonisme, rappelons qu'elle est parsemée d'épreuves et que l'obscurité y règne. Autant d'éléments symboliques que nous retrouvons dans notre tradition. " J'ai foulé aux pieds le seuil de Proserpine " indique que le disciple a été symboliquement mis à mort ou a franchi un seuil qui lui a permis de rentrer dans un monde nouveau et différent. Cela peut-être mis en relation avec deux symboles que nous retrouvons dans notre progression. Le premier est celui du franchissement du seuil que connaît l'apprenti lorsqu'il pénètre pour la première fois dans le Temple, tandis que le second est strictement lié à la mort. S'il s'agit véritablement de cela, nous devrions retrouver naturellement le contexte général, c'est à dire les voyages et les épreuves. Or Proclus écrit : " J'ai été entraîné à travers tous les éléments. " non pas, " j'ai traversé ", mais " j'ai été entraîné ". Ce mouvement qui nous fait rencontrer les quatre éléments au cours de nos voyages, ne le recherchons pas dans les usages compagnoniques du passé, ni même dans la Bible. La traversée de la Terre, de l'Eau, du Feu et de l'Air se trouvent ici, dans les écoles de Mystère de l'antiquité. Cette relation aux quatre éléments qui nous est maintenant assez familière est explicitement hermétiste. Sa source se trouve dans la théologie chaldéenne et elle est structurée en système au sein des textes hermétiques, les Oracles Chaldaïques et le Corpus Hermeticum. Le monde est représenté sous la forme d'une série de sphères planétaires concentriques. Nous nous trouvons évidemment au centre, " enfermés " dans notre corps et il convient pour retrouver la lumière de la raison de traverser, de remonter ces différents cercles. Or les premiers que nous devons franchir sont les cercles des éléments et dans l'ordre indiqué il s'agit de la Terre, l'Eau, l'Air et le Feu. Ensuite débutent les sphères planétaires. Mais cela ne concerne pas ce propos. Nous retrouvons plus tard ces éléments dans les diverses écoles des mystères, mais l'usage que nous en faisons remonte très vraisemblablement à cette source première. Notons toutefois que l'interprétation de la traversée de ces éléments est à considérer sous deux angles : 1- Traverser les sphères pour s'élever vers la lumière est en soi une épreuve. 2- L'intention de l'initiation consiste à harmoniser ces " influences symboliques " avec notre être pour retrouver notre équilibre originel. Bien évidemment l'antiquité liait certains gestes rituels aux éléments et des textes plus récents comme le Crata Ropea en sont une lointaine interprétation. Mais Proclus ne s'arrête pas là dans sa description et ce qui suit est encore plus étonnant. " en pleine nuit j'ai vu le soleil étinceler de lumière blanche, " Et que voyons-nous à la suite de nos épreuves, que nous est-il révélé lorsque le voile tombe ? La lumière bien sûr !... de la même manière que dans ce rite datant du 1er siècle. Mais avant d'aller plus loin, il convient de faire une remarque. Le fait de relever des correspondances entre des éléments rituels passés et présents pourrait, dans l'absolu, ne rien signifier de particulier. Cependant, que ces éléments rituels
soient dans la séquence exacte qui est la nôtre, peut nous prêter à réfléchir quant à la nature de nos véritables sources. La suite du passage que nous commentons, implique des concepts théologiques liés à la tradition hermétiste et platonicienne. Notons au passage le rappel des agapes qui suivent de manière indispensable le rituel d'initiation. " Le troisième jour fut célébré selon le même rite ; il y eut un déjeuner sacré, et l'on acheva ainsi, comme il se doit, mon initiation. " Cette indication est fréquente. Dans la dernière phrase de l'Asclepius nous lisons également : " Avec ces voeux, nous nous rendîmes à une cène pure que ne souillait nul aliment ayant eu vie. " Nous venons de voir ici la pratique de la première initiation que Lucius eut à subir. Mais comme nous pouvons nous y attendre, elle n'est pas unique et une révolution solaire amène la seconde initiation. Voici ce qu'il en dit : " 26. [...] Voici que le grand Soleil avait parcouru le cercle des Signes et accompli l'année lorsque, de nouveau, mon sommeil fut traversé par la sollicitude vigilante de la bienfaisante divinité et, de nouveau, elle me parla d'initiation, de nouveau, de cérémonies sacrées... " " [...] La chose ne resta pas longtemps incertaine. La nuit suivante, je vis l'un des initiés, vêtu de lin, et portant des thyrses, du lierre, et les objets que l'on ne doit pas nommer, les déposer devant ma demeure; puis, s'asseyant sur mon propre siège, il m'invita à participer aux agapes d'une cérémonie solennelle. Et cet homme, évidemment afin que j'eusse un signe certain par lequel je pourrais le reconnaître, avait le talon du pied gauche un peu tourné sur le côté, ce qui lui donnait une démarche hésitante et le faisait aller lentement. Après une manifestation aussi évidente de la volonté des dieux, le voile de ténèbres se déchira tout entier et, aussitôt après avoir achevé le salut matinal à la déesse, j'examinai attentivement tout le monde, dans l'attente de quelqu'un qui marcherait comme je l'avais vu faire en rêve. Ma confiance ne fut pas déçue. Car j'aperçus tout de suite l'un des pastophores en qui non seulement le pied révélateur, mais l'attitude générale et tout l'aspect correspondaient exactement à ma vision nocturne. Et je sus par la suite qu'il s'appelait Asinius Marcellus - nom qui n'était pas sans rapport avec ma métamorphose. " On peut reconnaître ici, dans le personnage de cet initié une des caractéristiques très particulière de nos rites, c'est à dire les marches différentes à chaque grade. Comment ne pas voir une évidente parenté avec le texte ci-dessus ?... Proclus ne décrit pas davantage cette seconde initiation sinon pour rappeler qu'il eut encore à se préparer par le végétarisme. Et bien évidemment quelques temps plus tard, une troisième initiation lui est proposée. " 29. Mais voici que, peu de temps après, des ordres inattendus et tout à fait surprenants me viennent à nouveau de la part des dieux, et je me vois contraint, une troisième fois, de subir l'initiation. " Lucius la prépare de la même manière que précédemment et elle va déboucher sur le vision supérieure de la Déesse Isis. Comme nous avons pu le voir en commentant ce passage, les références rituelles ne sont pas symboliques ou indirectes, mais absolument concrètes et parfaitement définies. Nous pouvons même retrouver des particularités dont nous avions jusque là perdu la trace. Nous venons de parler de la démarche significative soulignée dans ce passage, où le prêtre sera reconnu par ce déplacement hésitant. Mais lorsque le nouvel initié est introduit pour la première fois dans le temple et qu'il commence pour ainsi dire sa quête initiatique, il est chaussé d'une manière caractéristique, un pied chaussé et un pied soit nu, soit portant une sandale à moitié enfilée. Nulle trace dans la Bible de cette particularité. Si nous nous penchons comme nous sommes en train de le faire sur les traditions des mystères et les mythes anciens, que lisons-nous dans le mythe de Jason ? Jason fut élevé par le Centaure Chiron qui, comme à tous ses élèves, lui apprit la médecine. Quand il arriva à l'âge d'homme, Jason quitta Chiron et revint à Iolcos. Son costume était étrange, puisqu'il portait une peau de panthère, tenait une lance dans chaque main et surtout son pied gauche était nu. Son oncle qui accomplissait un sacrifice sur la place publique ne le reconnut pas, mais eut peur car l'oracle lui avait dit de se " méfier de l'homme qui n'aurait qu'une chaussure ". Jason se présen tât le sixième jour chez son oncle Pélias lequel lui demanda de conquérir la toison d'or, pour écarter de lui le danger. Cette quête sur le navire Argo aboutit à son terme. Jason retourna dans son pays et selon les versions prit le trône. Nous savons que le mythe de Jason n'est pas absent de notre tradition et il est intéressant de retrouver ici une source d'un symbole bien connu. Nous allons enfin relever quelques sources d'usages rituels que nous connaissons fort bien, en tentant de respecter les grandes lignes de la progression rituelle de l'initiation d'apprenti. Mais n'oublions pas que notre propos est de montrer qu'il y eut associations d'éléments divers rituels conservés dans la mémoire collective et qu'ils appartiennent donc à plusieurs cultes de mystères. En premier lieu, le cabinet de réflexion nous place dans une ambiance tout à fait particulière ; celle d'une caverne obscure au sein de laquelle nous trouvons des restes humains et de quoi inspirer notre crainte et notre méditation. Pas de source biblique ici, mais plus vraisemblablement une symbolisation alchimique liée à un ancien culte, celui de Mithra. En effet, les épreuves rituelles commençaient par une méditation dans une sorte de fosse en présence d'ossements humains. Suivaient de " terribles épreuves " qui ont épouvanté le futur saint Grégoire de Nazianze. On bandait les yeux des postulants rituellement dénudés, on leur liait les mains et on les conduisait dans de froides ténèbres. On les tenait enfermés quelque temps dans de froids sépulcres, puis on faisait mine de les précipiter dans des abîmes (Capoue), on les soumettait au feu, on leur montrait des squelettes et on les faisait passer au milieu d'une cohue criante et gesticulante d'animaux divers (initiés masqués qui correspondaient aux différents grades de l'initiation). Même structure chez les Bacchants à Rome où " l'initié est introduit comme une victime et mené dans un endroit retentissant de hurlements, des accents de voix mêlées et du choc des cymbales et des tambourins de telle sorte que l'on ne puisse entendre la voix de la personne appelant au secours. " (Tite-Live) Le fait d'avoir les yeux bandés se retrouve dans d'autres cultes et nous en avons plusieurs représentations, notamment chez les Bacchants. L'initié porte un voile qui lui recouvre la tête et est guidé par le Prêtre au sein du temple. Citons tout d'abord les impressions d'initiation de Plutarque : " Les initiés s'avancent en se poussant les uns contre les autres et c'est un tumulte et des cris, mais lorsque c'est l'action et qu'on leur montre les objets sacrés, ils font attention et c'est la crainte et le silence... Lorsqu'on a pénétré à l'intérieur et qu'on a vu la grande lumière... on prend une autre attitude d'esprit... " (Quomodo quis... 81E) Comme nous le voyons, ces épreuves, ces mouvements, sont toujours suivis et associés à la découverte de la lumière. C'est une constante. Nous en venons aux serments. N'oublions pas que la Bible interdit de tels serments. Il est intéressant de remarquer que dans ces mêmes cultes, le néophyte doit jurer en répétant phrase par phrase les paroles ou serment tirés d'un formulaire sacré. Ce serment contenait d'abord une promesse de secret, ainsi par exemple : " Je jure Un hermétisme maçonnique : La F? M? égyptienne 15 par le Dieu qui a séparé et divisé la terre du ciel... et le corps de l'âme, en toute franchise et bonne foi, de conserver en secret les mystères qui m'ont été transmis par le très pieux père Sarapion... " Suivaient les menaces assorties à la divulgation du serment qui impliquaient que " si les mystères cachés étaient révélés, les initiés mettraient en pièces le parjure de leurs propres mains. " Serment que nous connaissons bien et que nous comprenons d'autant mieux que nous avons eu à en prêter un similaire. Un autre exemple nous est transmis par Vetius Valens : " Je te demande le serment, à toi mon frère très précieux, et à ceux que je conduis, comme mystagogue, vers l'harmonie du ciel, je te demande le serment au nom de l'enveloppe céleste du cercle aux douze signes, du Soleil, de la Lune et des cinq astres errants qui guident toute notre vie, par la Providence elle-même et la nécessité sacrée, de garder tout cela en secret et de ne pas le transmettre aux ignorants, mais seulement à ceux qui sont dignes et qui peuvent le garder et répondre justement, et me donner à moi, Valens qui ai expliqué cela, un renom impérissable et éminent, en reconnaissant que c'est moi qui ai illuminé... " (Anthologiarum Libri, IV, 11). Les conjectures des historiens liés à ces serments ne nous concernent que peu, puisque nous les comprenons par l'expérience... Un peu plus loin, une coutume qui nous est également familière se retrouve à la fois dans le mithraïsme, chez les bacchants, les pythagoriciens, en fait dans bon nombre de cultes. Il s'agit des signes, des mots et des attouchements. Dans le culte de Mithra, on fait suivre les serments par une poignée de mains particulière avec l'initiateur et chacun des participants. Proclus dans l'Apologie souligne cela en disant : " A tous les autres, je déclare tout haut : s'il y a dans l'assemblée un initié aux mêmes mystères que moi, qu'il veuille m'en donner un signe, et je lui apprendrai quels souvenirs je garde chez moi. Car aucun supplice ne serait capable de me révéler à des profanes ce que j'ai reçu sous le sceau du secret. " Il semble que des symboles étaient remis lors des initiations car il écrit également : " J'ai été initié en Grèce à la plupart des religions (cultes des mystères). Des symboles m'ont été donnés par des prêtres et je les garde précieusement. Il n'y a là rien d'extraordinaire, rien d'inouï. Je m'adresse à vous, initiés au culte de Bacchus qui vous trouvez dans l'assemblée ; vous savez ce que vous conservez caché chez vous, loin de tout profane et que vous vénérez en silence... " Dans certains textes, on parle des adeptes de Mythra comme des Syndexi, autrement dit " unis par le serrement de main ". Notre chaîne n'est pas bien loin... Il est inutile de développer ici les relations entre le mythe d'Hiram et celui d'Osiris, mais nous serions tout autant surpris. Nous pourrions continuer ainsi longtemps en approfondissant chacun des points de notre rituel et de nos symboles. Ce sera là l'objet d'une étude plus approfondie et plus vaste. Nous nous rendrions alors compte qu'un grand nombre d'éléments vont toujours dans le même sens. De plus, et comme nous l'avons vu, il s'agit non de détails insignifiants, mais d'éléments parmi les plus importants du rituel. Toutefois, montrer que les sources des symboles fondamentaux du rituel maçon nique se trouvent dans les écoles de mystères ne pourrait être qu'anecdotique ou historique. Mais il n'en est pas ainsi et nous pouvons nous demander en quoi ces éléments sont susceptibles de nous apporter quelque chose dans notre compréhension de notre rite et de notre philosophie.